DEUX REINES

 

La nouvelle reine était là, devant nous, belle et fragile, si jeune. Un jour prochain, bientôt, elle régnerait sur tous et toutes choses, sur le vent et les fleurs, sur le bleu cyan et les perles de rosée.

La vieille reine qui préparait son départ nous avait toutes vu naître, et nous n’avions connu qu’elle. Chaque matin elle chantait pour nous éveiller, et chaque soir elle murmurait une histoire qui nous apaiserait. Il y avait des matins sans soleil, mais jamais nous n’avions connu de réveil sans sourire. Elle chantait des airs qui existaient depuis toujours dans nos mémoires, et que nous perpétuions en les reprenant jusqu’à la tombée de la nuit, en attendant la chanson du matin suivant. Elle inventait aussi des mélodies en fonction de la saison qui s’achevait, de celle qui arrivait ; certaines harmonies resteraient, d’autres s’évanouissaient avec la fin du jour, œuvres uniques dont nous gardions les notes comme on se rappelle une couleur de notre enfance, et dont le souvenir réchauffe quand on l’effleure.

Un jour de mars elle avait entonné un refrain nouveau, et tous et toutes choses avaient ouvert les yeux sur le monde et sa simplicité. Tout était devenu visible l’espace d’une chanson, les feuilles dans les arbres avaient accompagné ce chant de grâce et les oiseaux avaient écouté, blottis dans le bleu cyan et les perles de rosée.

Quand venait le soir tout le monde se réunissait sous les étoiles ou un abri, et la vieille reine racontait des histoires à la lumière d’un rayon de lune, il éclairait la veillée comme une bougie de cire chaude. On apprenait alors comment naissaient les nuages et d’où venaient les rivières, et nous riions aussi de comprendre comment chacune d’entre nous avait reçu son nom ; en fonction du jour où nous étions nées et des nuances dorées sur nos corps, de la taille des astres le jour de notre baptême, la reine composait un nom avec plusieurs dizaines de syllabes, et il n’y avait rien de plus amusant que de s’interpeller les unes les autres à longueur de journée, avec une amabilité excessive.

C’est pourquoi nous les abeilles bourdonnons avec permanence, énonçant nos patronymes respectifs à chaque phrase, et riant de toutes ces syllabes avec des noms d’étoiles.

Il était bon de penser à cette vie entière passée auprès de notre vieille reine, et il était doux d’assister à la naissance de notre future mère. Dans quelques jours elle commencerait à chanter elle aussi, et elle nous conterait des histoires nouvelles car elle connaissait déjà les secrets des cailloux au fond du ruisseau et du jaune du pistil des fleurs. Mais pour l’instant elle devait se nourrir de gelée royale, et grandir dans son cocon de cire diaphane.

Profitons encore, quelques jours, du miel sucré des contes de la reine des abeilles.


Sevy Næj

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