IRUBĒ
Irubē dort, comme à chaque fois qu’elle vient de mourir.
Comme à chaque fois elle me laisse à mes pensées. Je suis épuisée mais je n’arrive pas à trouver le sommeil alors qu’elle gît sur le rebord du lit, assoupie comme un homme.
Est-ce qu’elle rêve ? Est-ce qu’elle sait ?
Les images d’Irubē suffoquant et combattant mon étreinte pour retarder l’explosion envahissent mes pensées. Je n’arrive plus à réfléchir, nos corps m’obsèdent. A chaque fois l’effet est le même : j’en viens à douter de ma décision.
Je la revois belle à en mourir, au cœur du combat sur la ligne de front, portée par la puissance brûlante de millions de gouttes de sueur sur son corps. Elle sent qu’elle perd du terrain mais chaque seconde gagnée est une marche de plus vers le ciel et le Valhalla de la guerrière.
Irubē est prise entre deux feux : le raz-de-marée dans son dos qui pousse avec la force d’un sagittaire au galop, qu’elle contient avec ses dernières forces disponibles, et l’affrontement final qui se joue déjà face-à-face, contre moi. La sauvageonne sait qu’elle va s’écrouler mais elle ne supplie pas. Presque à genoux, elle me dévisage avec hauteur.
Irubē s’est battue jusqu’à l’épuisement. Elle est restée debout jusqu’au coup de grâce, affrontant la petite mort droit dans les yeux, avec l’insolence du kamikaze qui va faucher mille vies avant de vendre chèrement la sienne, dans une explosion de flammes et de chair. Il ne reste de cet affrontement que deux corps absents, et des questions.
A quoi pense-t-elle maintenant ?
Est-ce qu’elle rêve ? Est-ce qu’elle sait ?
Est-ce qu’elle sait que je vais la quitter ?
Sevy Næj
07.2017